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Chaque vision compte

Ofentse Pitse dépasse les barrières de la musique en créant son propre orchestre et en devenant la première femme cheffe d'orchestre noire d'Afrique du Sud.. Découvrez son interview inspirante.
  • Date de naissance

    1er Juillet 1992

  • Pays

    Afrique du Sud

  • Profession

    Cheffe d'orchestre

  • Intervieweur : Nous aimerions beaucoup savoir ce qui vous a donné l’envie de devenir cheffe d’orchestre.

    Ofentse : Mon intérêt pour la direction d’orchestre remonte à l’âge de 12 ans, époque à laquelle j’ai fait mes premiers pas dans l’univers de la musique alors que je fréquentais l’Armée du Salut. J’ai choisi de jouer de la trompette, simplement pour être parmi ces garçons que je voyais jouer de cet instrument en cuivre à l’église.

    Ma mère m’y déposait le samedi. J’apprenais à jouer des mélodies simples reprenant les notes de la gamme de do. J’ai alors eu un penchant pour la musique classique qui s’est ensuite transformé en passion pour les orchestres et les chœurs. C’est ce qui m’a amenée à vouloir devenir cheffe d’orchestre. Cela s’est donc fait très naturellement.

    Intervieweur : Très bien. Et j’ai vu une interview en ligne où vous disiez avoir étudié l’architecture.

    Ofentse : Oui, je suis architecte diplômée effectivement.

    Intervieweur : Et qu’est-ce qui vous a donné l’envie de prendre une autre voie ? Appréciez-vous toujours l’architecture ? Est-ce une source d’inspiration pour vous ?

    Ofentse : Oui, c’est certain. Car l’architecture n’est pas très éloignée de la musique finalement. C’est un domaine où il est notamment question de technique, d’équilibre et de structure. Autant de termes que l’on retrouve dans la musique classique. Donc lorsque j’ai changé de voie, cela s’est fait progressivement car tout ce que j’apprenais à l’école, je l’apprenais en musique.

    Il en va de même de mon approche d’une partition musicale. Je regarde où j’entre et où je sors. Où se trouve l’espace le plus habitable dans la musique ? D’où vient la lumière ? Et l’air? Qu’en est-il de la ventilation ? J’appréhende vraiment chaque partition comme une esquisse, un plan. Et c’est ce qui la rend passionnante à réinterpréter, de manière douce et classique.

    C’est à la fois artistique et architectural, mais c’est ainsi que je construis la musique. En l’envisageant comme une structure.

    Intervieweur : Voilà une excellente réponse spontanée. Et qu’est-ce que ça fait de diriger un orchestre sur les plus grandes scènes d’Afrique du Sud ?

    Ofentse : C’est très intéressant car je suis un peu rebelle dans mon approche de la musique, alors je n’ai pas voulu être à l’image des chefs d’orchestre classiques. J’ai souhaité innover et faire tomber certaines barrières. Et c’est pourquoi une grande partie de mon travail relève de la musique d’orchestre, n’est-ce pas ? Et que parallèlement à cela, je collabore avec des artistes grand public. Pour mon premier spectacle, j’ai choisi l’artiste afro-jazz Judith Suprema, et j’ai ensuite réfléchi à une orchestration façon Tchaïkovski. Mais comment en faire du jazz ? Car il s’agit d’une musique très jazz. C’était un défi intéressant auquel j’ai réfléchi. Puis cela a suscité en moi l’envie de relever un autre grand défi. Alors vous ne me trouverez pas vraiment côté théâtre. Vous me verrez plutôt avec le grand public, me demandant comment associer le hip hop, Beyoncé par exemple, et un orchestre ? Comment combiner jazz et orchestre ? Comment allier maques et orchestre ? C’est intéressant, cette sorte de juxtaposition de l’univers musical ou classique et du monde des arts. Cela s’avère toujours passionnant. Rapprocher ces différents domaines, c’est un peu comme assembler sans cesse les pièces d’un Lego.

    Intervieweur : Pourquoi avoir choisi Sibelius pour aujourd’hui ?

    Ofentse : J’ai choisi Sibelius tout d’abord en raison de l’hymne « Be still, my soul. The Lord is on my side. ». J’entendais cet hymne à l’église lorsque j’étais enfant. Quand j’ai entendu Sibelius pour la première fois, je me suis demandé qui était l’arrangeur, quel était l’orchestre. Puis j’ai découvert qu’il s’agissait en fait de l’hymne national de la Finlande. Les Finlandais jouent ou écoutent ce morceau chaque année, avant la Saint-Sylvestre. Donc un morceau assez patriotique. C’est en raison de cela et de la prise de vue d’aujourd’hui que j’ai souhaité quelque chose me permettant d’y mettre tout mon cœur, de donner du relief à mes mains, d’apporter du sentiment aux différents mouvements et aux différents thèmes de l’œuvre. C’est la raison pour laquelle j’aime Sibelius. Pour cet hymne.

    Intervieweur : Quelle est votre routine quotidienne en tant cheffe d’orchestre ?

    Ofentse : Ma routine quotidienne ? Je me réveille à 5h00 et je fais un bon jogging. Je rentre ensuite chez moi et j’écoute de la musique sur Spotify, donc pas vraiment du classique. Puis je débute tranquillement ma journée. Le plus souvent avec de l’architecture. Mais je me consacre beaucoup à la musique depuis quelque temps. Je m’adonne à l’orchestration et aux arrangements, si bien que j’étudie sans cesse diverses idées permettant d’associer différents mots en termes d’orchestration. Dans la journée, je fais une sieste et, une fois réveillée, je m’y remets. Je suis donc très concentrée lorsque je m’attelle à mon travail, notamment lorsqu’il s’agit de musique. J’aime m’isoler de tout jusqu’à ce que ma tâche soit terminée. Je suis une cheffe d’orchestre asociale, vous savez ! Mon cerveau est sans cesse en ébullition. Je suis toujours en quête d’une nouvelle grande idée. Me coucher et dormir est parfois la seule solution pour que je parvienne à m’arrêter.

    Intervieweur : C’est très intéressant. Je vois beaucoup de parallèles avec ma profession qui relève aussi de la création d’ailleurs. Cela revient à créer son propre univers.

    Ofentse : Oui. Vous y vivez. Vous voulez y vivre.

    Intervieweur : Pouvez-vous nous parler de quelques moments forts de votre carrière ?

    Ofentse : Les moments forts de ma carrière sont ceux où j’explore des territoires inconnus. Lors de mon premier concert par exemple, j’ai collaboré avec une artiste afro-jazz. La reine de l’afro-jazz en Afrique du Sud. Ça, c’était pour mon premier spectacle. J’ai ensuite travaillé sur un événement avec la marque de champagne Veuve Clicquot. L’année dernière, ils m’ont demandé de prendre la parole et de donner ensuite une représentation surprise avec un orchestre. Nous avons alors fait une sorte de flash mob. Le public ne se doutait absolument pas qu’il y avait un orchestre. Puis les musiciens sont apparus à différents endroits et nous avons joué le thème musical de Veuve Clicquot. J’ai aussi collaboré avec un musicien qui fait de l’afro tech house. Je portais une tenue très gothique et je dansais sur la musique. Je vibrais littéralement avec elle.

    J’ai donc connu plusieurs moment forts, notamment l’année dernière. Plus récemment, j’ai travaillé sur un événement avec la marque Bidvest. Nous avons monté une sorte d’orchestre africain. La marque voulait que je fasse un spectacle façon Coachella. En partant de la musique de Beyoncé et de son show à Coachella, mais en les revisitant en version africaine. Avec des chœurs, des doundoums, des tambours swazis - tout un ensemble de percussions africaines.

    C’était vraiment fantastique car tous jouaient de tête, ils ne regardaient même pas ce qu’ils devaient jouer. Oui, c’était audacieux, mais intéressant. Ce fut un moment fort pour moi.

    Intervieweur : Fascinant ! Donc nous imaginons un thème musical pour Toyota en ce moment même, n’est-ce pas ?

    Ofentse : Je trouve ça génial. Oui, j’adorerais faire ça. Une ligue de course, un rythme soutenu, une vitesse élevée, vous voyez, l’image du véhicule placé sous le feu des projecteurs cette semaine. J’ai eu envie de rentrer chez moi avec. Alors oui, vraiment, j’adorerais créer ce thème musical.

  • Intervieweur : Excellent. Fantastique. Avez-vous traversé des moments difficiles durant votre parcours et est-ce que vous voudriez nous ne parler ?

    Ofentse : Oui, bien sûr. Tout d’abord, vous ne voyez personne qui soit comme moi, n’est-ce pas ? Je suis jeune. Je suis une femme. Et je suis noire. Donc, à mes débuts, lorsque je me suis rapprochée de divers chefs d’orchestre en Afrique du Sud, simplement pour être conseillée, guidée, la plupart ont refusé. Cela m’a vraiment beaucoup attristée, jusqu’à ce que je rencontre Corbin Goodson, qui m’a prise sous son aile et m’a appris tout ce qu’il sait. Mais il y eu ensuite quelques évolutions en termes d’accès. C’est difficile d’accéder à cet univers car il demeure à forte prédominance masculine. Cela a donc été très compliqué pour moi de monter mes propres grands spectacles avec mon orchestre et mes chœurs au complet. Et puis vous rencontrez aussi parfois certaines marques qui vous font diverses promesses et qui, le moment venu, ne les tiennent pas.

    Donc j’ai eu de mauvaises expériences, mais il s’agissait surtout d’un problème d’accès. Car, une fois encore, vous ne voyez personne qui soit comme moi. Alors les gens se demandent : « Est-elle suffisamment compétente ? ». L’accès est donc un énorme problème dans ma carrière.

    Je suis une jeune femme noire vivant en Afrique du Sud. Dans un secteur à forte prédominance masculine. Je souhaitais aller au-delà des normes, au-delà du statu quo, au-delà de ce que les gens attendaient, alors j’ai créé mon propre univers. J’ai imaginé des expériences auxquelles d’autres jeunes personnes peuvent prendre part. Et ces personnes sont pour la plupart celles auxquelles je fais appel pour mon orchestre. Nous allons donc toujours au-delà de tout ce dont nous faisons partie, de tout ce que nous sommes.

    Intervieweur : Vous avez donc déjà répondu à la question suivante, à savoir « Comment avez-vous surmonté ces obstacles ? ». Mais je pense qu'il y a peut-être une autre question que vous pourriez développer. Quelle est la leçon la plus importante que vous ayez apprise jusqu'à présent dans votre carrière ? Y a-t-il quelque chose de particulier à retenir ?

    Ofentse : Oui, en effet. J'ai appris au cours de ma carrière, notamment en tant que cheffe d'orchestre, que ce qui compte, ce n’est pas le nombre d’abonnés que vous avez ou le nombre de personnes qui likent vos publications sur Instagram. Vous devez avant tout vous entraîner et être bon dans ce que vous faites. Voilà ce que j’ai appris. Et cela me permet de ne plus me considérer simplement comme une femme. Je veux figurer parmi les meilleurs chefs d'orchestre au monde, et ce, au-delà du fait que je suis une femme.

    Intervieweur : Vous êtes une pionnière à mon sens. Vous pensez repousser les limites chaque année. Et c’est effectivement le cas car pour être là où vous en êtes, pour obtenir ce que vous avez, vous vous dépassez.

    Ofentse : Merci beaucoup.

    Intervieweur : Quelle est la prochaine étape pour vous ? Comment envisagez vous désormais la réussite dans votre domaine ? Maintenant que vous êtes allée si loin.

    Ofentse : La réussite passe par la collaboration. J'aime énormément collaborer avec des personnes que l'on n’imagine pas normalement avec un orchestre. C'est la raison pour laquelle j'ai participé sans hésiter à cette campagne et je me suis dit : « C’est parti, on y va ! ». Ce n'est pas quelque chose d’habituel de porter un smoking, un pantalon sans plis italien et de faire une ouverture entière. Il s'agit vraiment de parler directement au public grâce à la musique d’orchestre qui, pour moi, touchera toujours le cœur, ira au-delà et me guidera. C’est vraiment vers cela que je me dirige. Des collaborations avec des personnes qui ont le même état d'esprit et des personnes qui aiment également faire tomber les barrières et aller bien au-delà de ce à quoi les gens s'attendent. Et puis il y a l'opéra de Sydney.

    Intervieweur : Est-ce que c’est officiel ?

    Ofentse : Non, faisons-en sorte que ce le soit. Allez !

    Intervieweur : Parfait. Eh bien, pourquoi pas !

    Ofentse : Vous serez en coulisses. Vous couvrirez tout. Je veux dire, imaginez la vue sur la côte, l'architecture de la ville et puis cette acoustique. Ce sera magique pour moi. Habillée en tenue africaine, avec des ornements africains, peut-être même interprétant des œuvres africaines, je ne sais pas. Mais l’opéra de Sydney sera mon apogée.

    Intervieweur : Est-ce là le point de rencontre de vos rêves d'architecte et de cheffe d'orchestre ?

    Ofentse : Exactement ! Oui, c’est tout à fait cela. Vous voyez donc ce qui les relie ? Ça n’a rien d’irréaliste.

    Intervieweur : Avez-vous des conseils à donner aux personnes qui lisent cet entretien concernant la façon de donner le meilleur de soi-même ? Qu'est-ce que le dépassement de soi signifie pour vous ?

    Ofentse : C’est une question importante. Je dirais que la préparation vous garantira d’être toujours au bon endroit. J’accorde une importance folle à la préparation. Même pour le morceau que j’ai joué aujourd’hui. Je veille à bien me préparer, parce que normalement, une cheffe d'orchestre dirige en regardant une partition et en tournant des pages. Mais lorsque vous êtes en symbiose avec la musique, vous n'avez plus besoin de la partition, vous comprenez ? Il m’est arrivé de ne même pas savoir où j'en étais, mais comme je pouvais sentir le pouls de l'orchestre ainsi que celui du public, même si je lui tournais le dos, je pouvais percevoir comme une excitation et un pouls derrière moi, tout comme avec les personnes qui se trouvaient face à moi. Je n’aurai donc de cesse de dire que si vous vous préparez, vous serez toujours au bon endroit.

    Intervieweur : Très intéressant. Oui, j’imagine que lorsque vous êtes suffisamment préparé, vous vous retrouvez dans une sorte d'immersion totale, où vous remarquez beaucoup plus de choses autour de vous. Avez-vous une devise qui vous guide dans la vie ou vous permet de garder votre motivation intacte ?

    Ofentse : Ma devise, c’est l’association de trois mots : Vision. Objectif. Et héritage.

    Intervieweur : Formidable. Quel est votre prochain grand projet ?

    Ofentse : L’opéra de Sydney. Le Carnegie Hall. Et puis peut-être faire du ballet ou diriger Beyoncé. Je ne sais pas ! Je me réjouis réellement des possibilités qui s'offrent à moi parce que, une fois encore, je me tiens prête. Je reste donc convaincue que je suis suffisamment performante, et plus que performante à vrai dire, pour bénéficier de toutes ces opportunités. Je me prépare simplement en permanence à accueillir tout ce qui peut arriver de formidable. Mais il est certain que j'envisage de produire mes propres créations et de proposer des spectacles, que ce soit dans des théâtres ou autres. J'aime collaborer avec des artistes. C'est donc la voie à suivre pour moi.

    Intervieweur : Oui. Très bien. Notre campagne met en avant le fait que chaque étape compte. Qu’est-ce qui compte pour vous ?

    Ofentse : Alors je dirai que chaque vision compte, chaque répétition compte, chaque applaudissement compte, chaque intention compte, chaque membre compte, chaque partition compte.